jeudi 30 mars 2017

Travail de jour

Le matin le réveil sonne à 7h00, mais je ne me réveille pas avant 7h20, puis je prépare le café, dont l'odeur m'aide à émerger. Je le sirote en dégustant un bol de yaourt parsemé d'une petite poignée de granola bio aux fruits secs, de quelques amandes, de fruit (banane, kiwi, mangue...), d'une petite cuillère de graines de chia et occasionnellement d'un trait de miel. Exceptionnellement, les lendemains de fête notamment, je prépare des pancakes dont je mange deux ou trois le matin même, avec des rondelles de banane et du sirop d'érable ou de noix de coco, et je garde le reste pour le dessert du soir ou en guise de snack après le surf.

J'enfile un tee-shirt blanc et une chemise kariyushi, l'unique paire de jeans que je possède, chaussettes et chaussures. Après y avoir jeté mon ordinateur portable ultrabook, mon carnet de terrain, une trousse et un tumbler de café, j'attrape ma sacoche et je quitte mon bâtiment mauve de deux étages, salue les enfants de la garderie en face de chez moi, remonte la côte en passant devant le panneau du "Nonbiri Café" puis du okonomiyaki-ya "Kou", et enfin longe les champs de canne avant de déboucher sur l'entrée du parking de l'hôtel.

Je le traverse en diagonal, laissant l'entrée principale sur ma droite pour aller emprunter la porte de service. Je cherche une de mes chemises kariyushi de fonction indiquée par ma taille et mon numéro : M11, je la fait glisser de son cintre et file à travers les bureaux en disant bonjour aux employés déjà présents, comme le manager M. Nakamura, toujours le premier arrivé et le dernier parti, travaillant en continu sans un jour de repos de la semaine.



Après avoir passé mon badge devant le pointeur électronique, je descend les escaliers jusqu'au vestiaire des hommes, et ouvre mon casier tout en déboutonnant ma chemise, que j'enlève pour passer celle récupérée à l'entrée des bureaux. Je remplace mon jeans par un pantalon noir, de la poche duquel j'extirpe mon badge pour le clipser à la poche frontale de ma chemise, afin d'indiquer aux clients mon nom et les langues que je maîtrise, symbolisées par trois drapeaux japonais, états-uniens et français. Et j'enfile mes chaussures noires sans lacets, aisées à retirer avant de passer le seuil des chambres, et à 2,900 yens les moins chers de ce type. Yoshi porte exactement les mêmes, mais une taille plus petite (27), ce qui reste un peu trop grand pour lui et lui fait traîner les pieds de façon clownesque.


Je remonte les escaliers et prend la porte juste à gauche qui mène au lobby. Je dis bonjour aux collègues et m'assied à un des trois bureaux qui est disponible pour consulter les entrées du jour sur le fichier excel de communication, les e-mails internes, les réservations au restaurant et le bulletin météorologique hebdomadaire.


On peut séparer les employés de la réception en deux groupes associés à des fonctions différentes : Les employés assis (Watanabe, Teruya, Yoshi, Wang...), facturent les clients sur le départ et entrent les données informatiques correspondantes, tout en préparant les entrées du jour. Les employés debout (Xin, moi-même..., voir photo ci-dessous) récupèrent les bagages de ces mêmes clients et organisent leur départ. La majorité utilisant une voiture de location, nous leur en demandons la clef pour la conduire du parking à l'entrée de l'hôtel, et après avoir chargé les bagages y escorter les clients. Nous nous plaçons ensuite devant la voiture sur le côté pour les remercier en s'inclinant sur leur passage.

 

Hormis l'attente et l'accompagnement des clients qui partent, les employés debout sont chargés de nettoyer le lobby, les fenêtres de la porte électrique coulissante de l'entrée principale, balayer la cour et le fumoir à l'extérieur, de recharger les étalages de prospectus touristiques, de changer les fleurs placées sous la vitre de chacune des deux tables basses, et les journaux mis à disposition des clients (deux journaux d'informations locaux, un national et un journal sportif).

A partir de midi, nous allons inspecter les chambres avant l'arrivée des clients du jour, faisant la poussière dans les coins et le cas échéant retirant les éventuels cheveux laissés par inadvertance par les hommes de ménage.

Ensuite vient l'heure de pause, où les réceptionnistes vont déjeuner les uns après les autres au réfectoire de l'étage inférieur (le lobby est situé au deuxième étage, le réfectoire et les vestiaires au premier). On bavarde au fumoir, on consulte son smartphone (ou on est carrément scotché à un jeu portable, écouteurs dans les oreilles, Cf. photo ci-contre), on regarde la TV, on sort son ultrabook de sa sacoche pour rédiger son blog, ou on s'allonge pour fermer les yeux quelques dizaines de minutes sur les tatamis installés dans les vestiaires.

 

Sur ces photos nous portons les uniformes d'hiver (de décembre à mi-mars)

La plupart des clients arrivent à partir de 15 heures, horaire officielle du check-in. Les employés debout les accueillent à la porte de leur taxi ou voiture de location, déchargent les bagages sur un chariot et les accompagnent jusqu'à un des bureaux lorsqu'il s'agit d'une ou deux personnes, ou à une des tables basses pour les groupes de clients plus nombreux. Un des employés assis prend le relais : Il porte aux clients des petites serviettes humides pour qu'ils se rafraîchissent les mains ou le visage. Et leur demande de remplir la fiche d'enregistrement avec leurs noms, adresse et numéro de téléphone. Puis il va chercher la fiche de réservation correspondante, pendant qu'un employé debout apporte des verres de thé au jasmin frais (さんぴん茶 sanpin cha).

L'employé assis passe en revue les informations de l'hôtel : horaires des repas, du magasin, possibilité de recevoir des massages au salon du premier étage ou en chambre, fermeture manuelle de la porte, dépôt de la clef à la réception avant de sortir, présence d'un coffre à effets personnel dans la chambre, heure du check-out ; et s'enquiert des projets des vacanciers pour les satisfaire au mieux avec un vaste choix d'activités touristiques (tours organisés, snorkeling, kayak, plongée, stand up paddle, bateau à fond de verre, randonnée nocturne, etc.).

Le check-in terminé, environ 15 minutes plus tard ou plus selon les cas, l'employé debout reçoit la clef de la chambre de l'employé assis et va guider les clients jusqu'à leur chambre pour procéder à un tour complet de celle-ci : vue sur la mer, mot de passe pour le wi-fi, utilisation du diffuseur d'huiles essentielles, emplacement du sèche-cheveux et des pyjamas dans l'armoire sous la TV, utilisation de la machine à café, gratuité des bouteilles d'eau minérale dans le frigo, nécessité de fermer le rideau de douche, et enfin répond aux questions éventuelles avant de leur souhaiter un bon séjour (ごゆっくりお過ごし下さいませ go yukkuri osugoshi kudasaimase).






Les employés assis entrent alors les informations personnelles de chaque client, ainsi que les détails de leur voyage (réservations, heure du départ, du vol, voiture de location ou non),  dans le logiciel OPERA, un système de management de propriété (PMS). Les employés debout, eux, continuent de veiller à la propreté du lobby, et préparent la journée suivante : ils entrent les noms des clients faisant partie d'un tour organisé (団体 dantai) et vérifient les données des clients individuels (個人 kojin) dans OPERA, déroulent et re-roulent les serviettes pour les mains qu'ils placent dans un bac dans le frigo, écrivent sur les étiquettes à bagages nom et numéro de chambre, impriment et plient les informations de l'hôtel et le menu du dîner, remis dans une enveloppe au moment du check-in, avec différents coupons de réductions.

 

En fin de journée, avant de prendre congé à 16h30 ou 17h00 selon les cas (shift de 7 heures et demi ou 8 heures), je sors les poubelles puis je salue mes collègues (お疲れサム! otsukaresamu). Je descend me changer, pointe ma carte électronique et remonte par le bureau pour emprunter la porte de service et traverser le parking dans la douceur de la fin d'après-midi.

mercredi 22 mars 2017

Mme. Watanabe


Mme. Watanabe était médecin à Kobe. Et puis elle en a eu marre des lobbyistes qui lui versaient des sommes indécente pour prescrire leurs médicaments. Elle a pris un aller-simple pour Ishigaki, et, résidant pour une durée indéterminée à l'hôtel où je travaille, elle raconte à qui veut l'entendre à quel point elle se sent libérée et heureuse.

Lorsque j'évoque les différents pays que j'ai arpenté, vivant au jour le jour et travaillant le moins possible, seulement lorsque l'argent venait à manquer ou pour obtenir un visa, son émotion est évidente. Et au moment de prendre le volant de sa voiture de location pour un autre hôtel, après avoir longuement conversé sur le parking, elle me remercie ardemment et laisse échapper une larme.

A la rencontre suivante, Mme. Watanabe m'annonce qu'elle a trouvé un petit boulot au loueur de masques et tubas de la plage de Yonehara. Ca s'est passé comme souvent dans les îles, elle a raconté son histoire, expliqué qu'elle était là pour un moment, et le patron lui a offert un job. Elle pouffe de rire en avouant qu'elle en profite surtout pour utiliser le matériel gratuitement et déguster à l’œil les sorbets de la maison. Elle a acheté au patron une petite voiture pour seulement 220,000 yens, et loue à partir de la semaine prochaine une maison traditionnelle pour un prix dérisoire, à un vieux pêcheur qui ne l'utilise plus.

A l'image du Sieur Nagasaki, nombreux sont ces transfuges qui gagnent à migrer dans les îles du sud, au moins pour un moment.

lundi 20 mars 2017

Kohama


Sur la plage de Haimurubushi à Kohama, ce samedi 18 mars, on fêtait en musique l'ouverture des plages (ou 海開き umi biraki, "ouverture de la mer").


Pendant ce temps les agriculteurs locaux fauchent la canne, aidés par des travailleurs saisonniers venus du des îles du Nord.



Après avoir marché encore quatre kilomètres vers la pointe ouest de l'île en suçotant mon bâtonnet de canne, j'atteins le village de Kubazaki. De la plage de Hosaki, on peut admirer les montagnes d'Iriomote qui se dressent, majestueuses.



Du sommet du mont Otake, on aperçoit cet étrange village resort qui semble abandonné.



Les propriétaires ont en effet mit la clef sous la porte il y a plus de vingt ans, faute de fréquentation.


M. Shibata est gardien à plein temps du bâtiment principal, devenu l'hôtel "Refresh Island Kohama".


Ici un couple a racheté quatre maisons pour accueillir les touristes auxquels ils proposent sorties pêches et randonnées subaquatiques (http://www.ishigaki.fm/shimeragi/). L'île est réputée pour son importante population de raies mantas, dont l'observation est réservé aux plongeurs chevronnés capable d'affronter les forts courants.



Du fond de leur jardin, ou de cette plage propice au snorkeling, on peut voir la petite île de Kayama, située entre Kohama et Ishigaki, et réputée pour sa colonie de lapins.


mercredi 8 mars 2017

vendredi 3 mars 2017

Collègues 2

Il n'est jamais facile de connaître les raisons qui guident nos choix de vie, ceux qui nous amènent à exercer telle activité, tel métier. Pour tenter d'y parvenir, on peut tout de même observer. Et à fréquenter mes collègues, je me rend compte de certains traits psychologiques qui, par leur originalité, pourrait expliquer leur qualité de personnel hôtelier, et en particulier leur rôle de réceptionniste.

Kawasaki est frustré sexuellement, à presque cinquante ans, n'osant "tromper" son ex-fiancée de plus d'un an, ni rompre le contact téléphonique quotidien qu'il se sent le devoir émotionnel de maintenir. Il est exagérement timide, aussi, comme le montre sa gène intense et sa propension à changer de sujet façe au moindre compliment du manager M. Nakamura. Ce dernier est lui complètement obsédé par son travail, vivant au bureau chaque jour de la semaine, de tôt le matin jusqu'à tard le soir.

Abe consacre à son travail légèrement moins d'heures par semaine mais avec une intensité sans pareil, soumettant littéralement son corps à sa fonction, le dos toujours bien droit et penché, les jambes pliées pour toujours en position inférieure par rapport aux clients.

Yang, le stagiaire chinois, avec le temps gagne en assurance et se tranforme en petit chef, dont la condescendance et l'autoritarisme n'ont d'égales que la déference et la politesse exagérée qu'il déploie envers les clients. Comme portant un masque aux deux faces hideusement contradictoires.

Yuki le nouveau venu est au contraire apprécié de tous, si j'en juge par les anecdotes de beuveries qu'il partage déjà avec les collègues du restaurant après seulement quelques journées de fonction. Pas de méprise possible quant à son regard embrumé et sa démarche trainante, il a la bienséance d'annoncer spontanément son alcoolisme, et, comme beaucoup ici avec la cigarette, bien loin de lui l'idée d'arrêter. Son trouble est éthylique Il s'enfile trois pintes de bière quotidiennement, et la bouteille d'awamori les meilleurs jours. Kawasaki me confiait aussi avoir besoin d'un betit shot de whisky au réveil. Et le vice de Yuki lui permet même de flotter, non sans grâce, à travers ses fonctions sans s'alourdir du faire-semblant que les plus sobres d'entre nous se sentent obliger de porter. Non, Yuki n'est résolument pas dénué d'un certain charme, comme lorsque son regard perdu dans le vide capte soudainement qu'on le reluque, et qu'il se met à rire de bon coeur.

Yoshi semble à première vue bien dans sa peau, mais son regard fuyant et son incapacité à initier toute conversation trahissent, comme chez Kawasaki, une timidité maladive, terreau de la soumission au masque, de par l'illusion de protection qu'il offre.

La frustration et peut-être un traumatisme dans l'enfance se traduisent chez Watanabe par une condescendance glacée, surtout envers les hommes, et le stress de bien paraître devant les clients point dans son rire nerveux.

Yuuki, elle, s'use à rire frénétiquement, après chaque phrase dirait-on, mais son sourire permanent dissimule mal les apnées du sommeil dont elle souffre depuis qu'elle exerce ce métier.

De tous les collègues de la réception, c'est au final Keiko qui semble le mieux dans sa peau. Elle est joyeuse et sereine, parvenant dès que possible à s'arrimer à un échange sincère avec des clients ou des collègues. Elle est aussi la plus lucide sur le besoin d'artificialité des relations dans ce contexte professionnel, et cela ne la comforte que très relativement dans son choix d'être là.

Moi non plus je ne peux pas dire véritablement assumer ma présence à ce poste, mais il me fallait bien un employeur pour sponsoriser mon visa et me permettre de résider plus de trois mois dans les îles. Psychologiquement parlant, je partage la sensibilité de Keiko, et craint l'effet délétère de cet environnement. Il ne ferait pas bon traîner trop longtemps dans cette machine infernale, qui, nous prenant pour ses rouages, absorbe lentement notre humanité.

Mais ce processus inexorable ne l'est que parce qu'on s'y soumet, à divers degrés. Totalement pour les managers, partiellement pour les aspirants manager tels que la docile Teruya, ou selon quelque tendances masochistes pour d'autres.

Sommes-nous guidés dans nos choix par ces sensibilités intérieures? Nos choix les nourissent-elles en retour? Autrement dit, est-ce notre nature qui nous attire vers un certain métier, ou est-ce la pratique de ce métier qui forge notre identité? Il s'agit d'un processus complexe, dont quelques bribes de portraits ne sauraient, seules, rendre compte.

mercredi 1 mars 2017

Otōri



L'otōri (御通り) est une pratique locale de Miyako. L'initiateur, le pourvoyeur d'alcool ou toute autre personne désignée est l'oya (l'aîné). Il ouvre le rituel en se versant un verre, qu'il boit cul-sec après avoir improvisé un petit discours, remerciant les hôtes et introduisant les invités (leurs noms, comment il les a rencontrés, les relations entre les uns et les autres...).

Il remplit de nouveau le verre et le passe à un invité qui se lève et exprime librement son sentiment du moment, ses intentions et espoirs pour l'avenir, et remercie les hôtes.

A la fin de chaque speach l'invité remet le verre à l'oya qui le remplit et le passe à un autre invité qu'il désigne par son nom. Cette pratique permet notamment aux plus jeunes ou aux plus timides de s'exercer à s'exprimer en public, et permet de mieux faire connaissance avec chaque membre du groupe, même ceux avec qui on n'aura pas l'occasion de beaucoup converser au cours de la soirée.

Quand tous les invités ont parlés, il revient à l'oya de clore le rituel par un discours.