mercredi 15 février 2017

Montée

La narcose, ou "ivresse des profondeurs", est un trouble du système nerveux provoqué par l'azote au-delà d'une certaine profondeur. La zone à risques se situe entre 40 et 60 mètres, mais certains individus sensibles peuvent être atteints dès 30 mètres. (Source: Plongée plaisir 2**, 3è édition, éditions gap).


La sensibilité, mais aussi le manque d'expérience (je n'en était qu'à ma quatrième sortie en mer) et la fatigue (cinquième plongée en deux jours) sont des circonstances favorables à l'affection. Ainsi, c'est précisément à cette profondeur palier de 30 mètres que je me suis retrouvé à faire un effort inconsidéré, qui m'a fait ressentir quelques effets préliminaires de la narcose.

Nous progressions lentement depuis de longues minutes, fondant doucement à travers le bleu profond, hypnotisés par les fonds marins. Soudain le guide de palanquée fait retentir la tige de métal sur son bloc, pour nous prévenir qu'il a aperçu l'objet de notre sortie : les requins-marteaux. Les plongeurs, tous beaucoup plus expérimentés que moi, avec une licence au moins avancée et plus de 30 plongées au compteur, accélèrent brusquement, appareils photos braqués devant eux.


J'essaye de les suivre mais les forces me manquent rapidement. Je n'ai jamais plongé si profond et je suis surpris par l'intense effort physique requit pour palmer sous une telle pression (4 bars). Je vois mes compagnons disparaître au loin, inexorablement, me laissant seul dans le bleu.

Je ressens alors un sentiment d'abandon, aussi profond que l'océan où je me suis aventuré.

Je lève lentement la tête pour m'apercevoir que je suis pris à égale distance entre la surface, impossible à rejoindre rapidement sans que la dépression me perfore les tympans et fasse imploser mes poumons, et le fond inhospitalier. Commençant à perdre espoir, je n'ai d'autre choix que de laisser mon corps complètement statique dans sa prison d'eau, laissant mon esprit partir à la dérive,


Le sauvetage vient du tireur de bouée, Hidea, qui nous suivait à distance pour indiquer au bateau notre progression et qui, me voyant seul et immobile, se déporte vers moi. Il attrape fermement mon gilet, me regarde droit dans les yeux et, m'indiquant d'un geste de la main de respirer lentement, parvient à me rassurer. Je reviens progressivement à mes esprits. Mais je suis éprouvé, et la plongée ne prendra pas fin avant une autre dizaine de minutes, je dois tenir bon.

Les requins-marteaux ont dû partir car les plongeurs reviennent vers moi, dont Kahoo qui me donne toute son attention et répète les gestes d'assistance du tireur de bouée, alors que je continue de lutter pour ne pas m'évanouir. Je frôle l'état second vers lequel comme une montée de MDMA me mène dangereusement.

Heureusement, nous commençons la remontée et les effets s'estompent soudainement, comme si j'étais parvenu à tourner le dos au seuil d'un monde au-delà de la conscience.